Assurément la langue française se porte bien ! Le rapport 2014 de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) confirme cette vitalité et précise qu’elle « s’enracine ». En effet, cinquième (5e) langue la plus parlée dans le monde, le français compte, selon les dernières estimations, près de 274 millions de locuteurs à travers les cinq continents (OIF, 2014). Par ailleurs, le même rapport précise que le français comptera environ 767 millions de locuteurs d’ici à 2060, dont 85 % originaires d’Afrique et avec une progression de 15 % en moyenne en Afrique subsaharienne et qui atteint même les 30 % au Sénégal. En contexte de Français Langue Étrangère (FLE), toujours selon les chiffres de l’OIF, l’Afrique est encore en tête de peloton avec une augmentation moyenne de ses effectifs d’apprenants de 44 %, suivie de près par l’Asie avec 43 %. Parallèlement à ce développement, en Afrique, le contact avec les langues locales participe d’une dynamique de la langue française. Elle se transforme et se particularise pour mieux répondre aux besoins communicationnels et expressifs des locuteurs. Mieux, elle se renouvelle au point de muter vers une langue africaine (Pierre Dumont, 1997), ou encore une langue française de culture africaine (Zang Zang et Essengué, 2015) ; autant de désignations qui mettent en évidence les influences mutuelles du français et des langues africaines. Aujourd’hui, le français a beaucoup progressé en Afrique à l’instar des regards sur lui. Il ne doit plus être perçu comme la langue du colonisateur, la langue par laquelle l’ethnocide se concrétise, mais bien celle par laquelle la diversité se matérialise.
Principalement dans le discours certes, mais aussi dans les faits. La diversité linguistique et culturelle constitue ainsi le fondement de la francophonie sociolinguistique, terreau fertile pour l’épanouissement de la langue française. Manifestement, l’avenir de la langue française se joue hors des
frontières hexagonales, notamment en Afrique. Ici, cette langue fait face à plusieurs défis. Le premier défi reste celui de la diversité. Un certain nombre de langues étrangères viennent se greffer à un tissu linguistique déjà pluriel. Il s’agit entre autres, des langues issues de la colonisation (le
français, l’anglais, l’allemand, le portugais, l’espagnol), généralement adoptées comme langues officielles au moment de l’accession à l’indépendance de nombre de pays africains. Plusieurs autres langues étrangères viennent s’y adjoindre. Ce sont l’arabe, le russe et tout récemment le chinois qui gagnent eux aussi du terrain sur le continent africain. Le second défi est celui des politiques linguistiques des États africains francophones. Les situations ne sont pas identiques. Deux exemples résument bien les contextes en présence en Afrique francophone. En Côte d’Ivoire par exemple, une observation des textes officiels met en exergue un dispositif légal qui tend à minorer les langues africaines au profit de la langue française. Au Sénégal, le français évolue dans le voisinage du Wolof. Mais quel que soit le contexte, la qualité de l’enseignement du français est mise en cause (Maurer, 2010).
Ce premier volume de la revue DELLA/Afrique présente les actes d’un colloque international qui s’est tenu du 22 au 24 mars 2017 à
l’Université du Ghana, (Legon). Ce colloque qui a réuni une centaine de chercheurs de près de 38 nationalités, a traité de la thématique :
« Diversité linguistique, diversité culturelle : Quel avenir pour le français en Afrique et ailleurs ? » Douze (12) contributions sont regroupées dans ce volume et décrivent, d’une part le français en francophonie et les contextes plurilingues dans lesquels évolue le français d’autre part. Dans le premier axe, Christian TREMBLAY expose la complexité de la notion de plurilinguisme en ses fondements philosophiques. Puis, suivent des analyses contextualisées de Koffi Ganyo AGBEFLE d’une part et de A. A. Laurent ABOA et A-D. LEZOU KOFFI, d’autre part, qui interrogent les représentations du français en contexte plurilingue tandis que Jean-Claude DODO et Serge ALLOU analysent le NOUCHI, argot ivoirien mais surtout, produit du contexte plurilingue et du déficit d’une langue nationale. Mériem MOUSSAOUI MEFTAH soumet au même exercice, le français en
Algérie qui connait un destin influencé par le contact avec l’Arabe et des facteurs culturels voire idéologiques. Dans la même veine, l’arabe et le français, langues officielles au Tchad constituent une pomme de discorde entre les locuteurs. Abdoul-Aziz ISHAK LAMINE analyse ce bilinguisme et interroge les paramètres qui permettraient de parvenir à un bilinguisme équilibré, en dehors de toute passion. Alors que Vincent WERE soulève la problématique du rapport entre le français et les autres langues étrangères au Kenya pays anglophone, Samuel KOFFI du Ghana touche à la
problématique du choc culturel résultant de la confrontation entre
tradition et modernité. Il subsume la littérature comme un outil de diffusion des cultures par l’enseignement. Mireille Carine MINKOUE M’AKONO s’interroge sur la caractérisation des relations entre la langue française et les langues gabonaises, à partir d’une description des interférences du français dans les productions en langues locales. Cheick F. Bobodo OUEDRAOGO, propose une formule pour faire du vocabulaire le fer de lance de l’acquisition de la langue française dans les écoles primaires du Burkina Faso. Enfin, Nora Ladi DADUUT revisite les différentes acceptions de la
Francophonie pour en proposer une version plus réaliste. Les contributions du second axe décrivent des contextes plurilingues avec le français ou d’autres langues occidentales en situation de langue étrangère. Ainsi, Jean-Philippe ZOUOGBO propose-t-il un plaidoyer pour une appréhension objective des langues africaines, en dehors de toute axiologisation démontrant qu’à l’instar de facteurs économiques, politiques et sociaux, les
langues africaines sont un outil objectif de développement. En tant que telles, elles devraient faire l’objet de filières spécialisées en relation avec les problématiques de développement. Victor MONTOYA propose, dans une perspective transdisciplinaire, de montrer l’intérêt d’une approche depuis la science politique et plus particulièrement les Relations Internationales, des questions linguistiques. Le contexte du Nigéria est présenté la contribution de Mariam BIRMA qui expose les divers facteurs qui rendent difficiles l’apprentissage du français dans ce pays. Parmi ces facteurs, l’on
pourrait citer ceux culturels identifiés par l’auteur. De ce qui précède, il apparait que le français en contexte plurilingue, dans une perspective dynamique, revêt différentes postures. Dans certains contextes, il entretient des rapports de « bon voisinage » avec les langues en présence. Ailleurs, les relations sont conflictuelles. Pour autant, toutes ces situations participent de la vitalité de la langue française. Il en ressort une francophonie colorée, dynamique, truculente et riche de sa diversité.
Koffi Ganyo AGBEFLE &
Aimée-Danielle LEZOU KOFFI